OPÉRATION DE POLICE
LE 23 AVRIL 1944
A PLOUARET -TRÉGROM- VIEUX-MARCHÉ

[ 183e visite]



introduction
Les jeunes gens de Plouaret et des communes environnantes, appelés comme STO, refusent de partir travailler en Allemagne pour la machine de guerre nazie.
Ils n'admettent pas la défaite, ne supportent pas une armée d'occupation étrangère et pour lutter contre l'ennemi, s'organisent au sein des FTP.
Yves TREDAN des Sept-Saints en Vieux-Marché, créé la compagnie " La Marseillaise ", nom qui est tout un symbole dans le contexte Breton. Plus tard vu l'importance des effectifs, il est nécessaire de constituer au sein de la Marseillaise plusieurs compagnies, par communes ou groupes de communes.
Les FTP de la Marseillaise s'illustrent de façon glorieuse en commettant de nombreux sabotages et actions qui vont désorganiser les moyens de communication de l'ennemi.
Ils sabotent la voie ferrée Paris Brest assurant le ravitaillement de la grande base marine de Brest en hommes, matériel de guerre et ravitaillements. Pas moins de dix-sept déraillements sont réalisés de janvier 1944 à août 1944, causant des dégâts considérables, empêchant de nombreuses fois le trafic.
Ils coupent le câble téléphonique assurant la liaison Brest - Berlin via Angers.
Ils mettent le feu aux réserves de paille nécessaire pour les chevaux.
Ils sabotent les panneaux indicateurs routiers.
Ils participent à des parachutages d'armes.
Ils manifestent contre le STO, Yves LEON sera arrêté par des gendarmes français et déporté.
Ces sabotages à répétition ne laissent pas les Allemands sans réaction, ils ont des agents parmi la population qui sont à l'écoute de ce qui se dit et se fait, qui les renseignent, bien qu'ils soient peu nombreux , mais combien dangereux.
A l'époque le couvre-feu est décrété entre 21 heures et 5 heures du matin, il est interdit de sortir de chez soi sous peine de graves ennuis avec l'occupant ; l'éclairage des maisons ne doit pas être visible de l'extérieur, pour éviter que l'aviation alliée puisse se repérer au sol, obligeant les habitants à masquer leurs ouvertures par tous les moyens, sous peine d'ennuis avec l'occupant. A de nombreuses reprises la gare et les voies ferrées sont les cibles de l'aviation alliée causant des dégâts mais aussi la mort de plusieurs civils.
Samedi 22 avril 1944, vers 23 h
Profitant du couvre-feu, plusieurs centaines de soldats allemands, débarquent d'un train en gare de Plouaret. Au même moment, des camions venant Plestin-Les-Grèves, de Plufur, de Lanvellec et de Trémel débarquent leurs troupes autour de Plouaret.
La rafle commence, celle-ci est rendue plus aisée à mettre en œuvre du fait de la configuration du terrain. En effet, Plouaret est pratiquement ceinturé d'une voie de chemin de fer, au Sud comme au l'Ouest et même au Nord-Ouest du bourg.
Dimanche 23 avril 1944, vers 3 h du matin
1ère arrestation

Des soldats allemands équipés de torches électriques à piles, se rendent en voiture à Warvéguez sur la route de Saint-Carré au domicile de la famille FAUJOURON, à cette heure toute la famille est au lit, Arsène le fils de la maison âgé de 21 ans, cultivateur, est sorti de son lit, arrêté et dirigé vers la feldgendarmerie de Plouaret, qui se situe dans l'actuelle rue de la gare, à mi-côte non loin de l'église.
Pour Arsène FAUJOURON, va commencer un interrogatoire sous la forme de coups, brutalités, tortures et humiliations dans le but de lui faire avouer, les noms de ses camarades et les endroits où des armes peuvent être cachées.
Après avoir subit des sévices, Arsène FAUJOURON est conduit aux Sept-Saints au domicile d'Yves TREDAN responsable de la compagnie " La Marseillaise ".


Arsène FAUJOURON

Thérèse TREDAN sœur d'Yves TREDAN, est présente, elle raconte :
" La veille de la rafle, Yves me prévient qu'il risque d'y avoir la visite des Allemands, à cause d'un incident qui vient d'avoir lieu dans la soirée avec un certain Pierre KERVOAZOU qui s'est fait arrêter par une patrouille de feldgendarmes. Par précaution il n'est pas resté cette nuit là dormir à la maison, heureusement pour lui.

Le dimanche 23 avril 1944, vers 4 h du matin
Les Allemands arrivent en voiture, ils sont équipés de torches électriques.
Ils commencent à me poser des questions, cherchant à savoir où est mon frère.
Voyant que je refuse de leur donner des renseignements, ils me battent à coups de gourdins et menacent de m'emmener avec eux. Je ne me laisse pas impressionner par ces brutes, bien que les coups que je reçois me font très mal.
Ils fouillent toute la maison, ils volent des vêtements et le vélo appartenant à mon frère.
A l'époque compte tenu du couvre feu, il est imposé aux familles d'obturer les fenêtres pour ne pas que les lumières se voient de l'extérieur.
Je retire un tapis qui sert à masquer la fenêtre, à ce moment je reconnais, mais avec difficulté, dehors encadré par des Allemands, Arsène FAUJOURON que je connais bien pour être un résistant actif de " La Marseillaise ". Je comprend à l'état de son visage qu'il a dénoncé Yves. Je m'adresse à lui en Breton, lui disant : " Surtout Arsène, ne dénonce plus personne avant 10 heures, je vais essayer de faire prévenir les autres.", il me répond toujours en Breton, comme pour vouloir s'excuser : " Tu vois dans quel état je suis."
Sachant mon frère caché à proximité dans un talus, je me mis à crier en breton pour l'avertir, prévenu il pu s'enfuir, mais par contre cela me valu de recevoir une nouvelle fois des coups de la part de ces brutes.
Devant l'échec de leur visite, les Allemands repartent avec Arsène FAUJOURON.
Aussitôt, je vais prévenir Prosper LAURENT, un voisin, pour lui expliquer la situation et lui demander d'aller prévenir Auguste LE PAPE de la tournure des événements, afin que lui et les autres puissent se mettre à l'abri de ces brutes.
Prosper LAURENT prend sa bicyclette, pour aller à Kerdanet où habite Auguste LE PAPE. Arrivé sur les lieux, soit à sept kilomètres environ, il s'aperçoit que les Allemands déjà sont passés par là, il est trop tard. "
Albert JACOB, résistant est requis ce soir là par les Allemands pour surveiller la ligne téléphonique souterraine Plouaret Beg-Ar-C'hra. Il est intrigué par la présence anormale de soldats allemands. Il se rend à l'école Saint-Louis pour y déposer son brassard de requis lui permettant de circuler lors du couvre-feu.
Au retour il est stoppé par un barrage allemand. Il aura toutes les peines à le franchir pour aller non loin de là au domicile de la famille LE PAPE où habite le responsable FTP du secteur de Plouaret le fils de la maison Auguste LE PAPE. Il a aussi un autre prétexte pour venir, car il doit prendre des chaussures neuves qu'Auguste LE PAPE lui a ramené de Lannion, chaussures achetées la veille à l'aide de bons de ravitaillement.
La famille LE PAPE exploite à Kerdanet une ferme qui est une grande demeure située non loin de la voie ferrée Paris - Brest.



Prosper LAURENT

Yves TREDAN

Thérèse TREDAN
Dimanche 24 avril, vers 7h15
2ème arrestation

C'est au domicile de la famille LE PAPE que la horde de criminels se rend.
Agnès, la sœur d'Auguste Le Pape, présente sur les lieux, raconte :
" Mon frère Auguste est âgé de 22 ans, il est cultivateur à la ferme de mes parents et Albert JACOB est âgé de 24 ans, il est aussi cultivateur, ils sont attablés dans la grande pièce servant de cuisine et de salle à manger. Ma mère leur prépare un café. Soudain, ils entendent des bruits suspects venant de l'extérieur, Auguste regarde par la fenêtre et aperçoit des Allemands dans la cour, il s'écrie : " Les boches sont là ". Rapidement ils comprennent le danger, et se dirigent vers la porte donnant sur le jardin à l'arrière de la maison.
Albert JACOB est devant Auguste LE PAPE, il veut manœuvrer le loquet de la porte, impossible cela ne fonctionne pas, il perd ainsi quelques précieuses secondes. Pour manœuvrer le loquet il y a une petite combine mais qu'il faut connaître. Finalement la porte est ouverte, ils sortent dans le jardin potager entouré de murs de deux mètres de haut environ.
Ils se rendent compte que la maison est encerclée par les boches. Malgré tout ils tentent l'impossible pari de s'échapper, enjambant le mur à un endroit où les pierres sont effondrées par les intempéries, chacun de leur côté, ils courent.
Auguste a choisi de longer à une certaine distance la voie ferrée toute proche, et se dirige vers le tunnel de la ligne de chemin de fer en direction de Plounérin. Le long de la ligne des soldats montent la garde, il est à découvert, il ne peut leur échapper et il est très rapidement arrêté.
Nous le voyons revenir encadré par des soldats allemands qui lui ont attaché les mains dans le dos, Auguste a du se défendre lors de son arrestation car ses cheveux sont tout ébouriffés et son visage est déjà marqué par les coups reçus. "
Il est conduit ensuite à la feldgendarmerie où va commencer pour lui un interrogatoire sous la forme de coups, brutalités, tortures et humiliations dans le but de lui faire avouer, les noms de ses camarades et les endroits où des armes peuvent être cachées.


Albert JACOB
Auguste LE PAPE
Alice Le Manach, l'épouse d'Albert Jacob, raconte :
"Albert, réussit à franchir la voie ferrée, sa musette en bandoulière dont il se défait, son béret sur la tête, sous les tirs de six soldats allemands, les balles frappent le sol sec faisant se soulever la poussière de terre, il poursuit sa route en courant. Il s'arrête à la première ferme située à Kerépol qui est un petit manoir, les occupants comprennent vite la situation. Il leur demande le chemin menant à Coat-Huel, les fermiers lui indique la route à suivre. Peu de temps après les Allemands arrivent sur les lieux et fouillent l'endroit mais ne le trouvent pas. Il est aperçu par une personne a qui il a expliqué la situation, qui lui fera parvenir une soupe ensuite dans le bois.
Il continue sous la pression des Allemands sa course folle. N'en pouvant plus, il arrive dans une lande, se cache, retire son béret, et s'aperçoit horrifié que celui-ci a été traversé par une balle, la mort était vraiment très proche, alors il s'évanouit. Reprenant ses esprits, il reste à se reposer quelques temps.
Ne sentant pas en sécurité, il se dirige vers le pont Guerbasquiou, qu'il franchit comme si de rien n'était, tranquillement sans se presser, il arrive chez Auguste LE BOZEC, tout près du pont de Guergolvé, il voit le paysan de la ferme, celui-ci veut aller lui chercher du cidre pour lui offrir un verre. Il n'aura même pas le temps d'aller à la barrique, les Allemands sont à nouveau sur Albert, qui partout disent rechercher un terroriste blessé.
Il traverse la route Plouaret - Beg-Ar-C'Ha pour essayer d'approcher la ferme de ses parents toute proche afin de les rassurer, arrivé à proximité des lieux, les chiens se mettent à aboyer, les Allemands sont encore là. Il apprendra par la suite que Léon GUERSON est là, entre les mains des boches le visage tuméfié par les coups reçus par ces brutes.
Albert n'est pas vu par les Allemands, il se dirige vers un bois voisin d'où il voit la ferme encerclée par les Allemands, ceux-ci fouillent les bâtiments et ses environs.
A cette époque Albert et moi nous nous fréquentions, j'habitais chez ses parents à Keramanc'h en Plounévez-Moëdec à côté d'un relais téléphonique occupé en permanence par les Allemands. Albert décide donc de s'y rendre. En chemin il rencontre Eugène SIMON.
Puis il ira se mettre en sécurité d'une ferme à l'autre tantôt à Plounévez-Moëdec, tantôt à Loguivy-Plougras avec la complicité de ma mère et de ma famille, se cachant dans des greniers à foin ou dans des charretées de foins.
Chez moi, il s'était aménagé dans un grenier à foin une cache, dont il avait obturé l'accès avec le foin, y accédant par un trou accédant dans la mangeoire aux chevaux, cela lui posa problème, car il attrapa le rhume des foin, ce qui le rendit sourd un moment."
Les Allemands continuent la série d'arrestations.

Dimanche 23 avril 1944, vers 7 30
3ème et 4ème arrestations

Trois Allemands arrivent à Lann-Vihan, à cet endroit vivent les familles GUERSON, LE HAIE et DANIEL. Deux Allemands se dirigent vers la maison des LE HAIE, le troisième va au domicile des DANIEL.
Marie, la sœur d'Eugène DANIEL, présente sur les lieux, raconte :
" Les deux Allemands pensent trouver mon frère Eugène, ils se sont trompés de domicile, Madame Françoise LE HAIE comprend le danger, elle fait des signes de la main à Eugène qui se trouve sur le pas de la porte de notre domicile qui est à proximité, afin qu'il s'en aille. Eugène a 21 ans, il est cultivateur à la ferme de mes parents, il est déjà arrêté par l'Allemand resté seul que Madame LE HAIE n'a pas vu. Chez les LE HAIE, ils arrêtent aussi Théophile le fils de la maison, qui sera relâché dans la soirée.
De chez la famille LE HAIE, les deux Allemands se rendent au domicile de la famille GUERSON, ils entrent dans la maison, interrogent les parents. Le père subit un interrogatoire musclé, il est frappé, pour qu'il dise où se trouve son fils Léon, 23 ans, cultivateur.
Le père répond qu'il ignore à quel endroit se trouve son fils, alors que ce dernier dort dans l'écurie proche de la maison. Léon a pris l'habitude par mesure de sécurité de dormir dans l'écurie. Les Allemands fouillent partout, ils arrivent à l'écurie, la porte est verrouillée, ils la défoncent à coup de crosse de fusil, Léon n'a pas de possibilité de fuire, il est à son tour arrêté, les menottes lui sont passées aux poignées, il n'a même pas la possibilité de mettre ses sabots.
Tous les 3 sont conduits à la feldgendarmerie où va commencer pour eux un interrogatoire sous la forme de coups, brutalités, tortures et humiliations dans le but de leur faire avouer, les noms des camarades et les endroits où des armes peuvent être cachées. "


Eugène DANIEL
 
Léon LE GUERSON
Dimanche 23 avril 1944, vers 8 h
5ème et 6ème arrestations

Les Allemands se rendent ensuite à Prat-Thépaut au domicile de la famille PASTOL.
La veille, le jeune Joseph HENAFF âgé de 18 ans et cultivateur, de Saint-Julien près de Saint-Carré, vient se faire couper les cheveux chez la famille PASTOL, comme le font entre eux les jeunes à l'époque. Dans la soirée, tout le monde joue aux cartes, l'heure est jugée trop tardive pour que Joseph HENAFF rentre chez lui à cause du couvre feu, il décide de rester dormir avec le fils de la maison Auguste, âgé de 24 ans, cultivateur.
Les Allemands arrivent sur les lieux et arrêtent Auguste PASTOL et Joseph HENAFF qui vont subir à leur tour le même sort que leurs camarades Arsène FAUJOURON, Auguste LE PAPE, Eugène DANIEL, Léon GUERSON et Théophile LE HAIE, ils sont envoyés à la feldgendarmerie où pour eux vont commencer les interrogatoires, les coups, les tortures et les humiliations.
A l'exception du jeune Joseph HENAFF, qui n'est pas impliqué dans la Résistance, tous les autres jeunes arrêtés sont des STO devenus résistants FTP de la compagnie " La Marseillaise ". Ils ont tous participé à des actes de sabotages de voies ferrées mais aussi à de nombreuses actions menées contre l'ennemi.
Malheureusement ce 24 avril, la rafle n'est pas terminée.
 

Joseph HENAFF
Auguste PASTOL
Jean DANIEL, frère d'Eugène DANIEL raconte :
" Un soldat allemand est intervenu au cours de la petite messe du matin, à 7 heures, pour avertir que les hommes âgés de 16 ans à 50 ans doivent se rendre à l'école des filles Saint-Louis. Cette école est occupée comme tous les grands bâtiments de Plouaret par les Allemands. A l'époque l'école sert de couvent, abritant plusieurs religieuses.
Le garde champêtre fait le tour du bourg, avec son tambour pour informer les hommes de 16 ans à 50 ans de rejoindre la cour de l'école Saint-Louis. Cette cour est entourée de hauts murs et la garde est assurée par des soldats postés sur des hauteurs.
Je me suis rendu comme d'autres, au lieu indiqué, il est bien évident, que ceux qui ont des craintes ne viennent pas se mettre dans la gueule du loup. Dans la cour de l'école environ une centaine d'hommes sont ainsi rassemblés.
Les Allemands arrivent avec Auguste LE PAPE, qui a le visage tout tuméfié par les coups reçus. Ils lui demandent de désigner parmi les hommes présents sur les lieux, ceux faisant partie du groupe de FTP. Auguste refuse de dénoncer, d'ailleurs aucun de ceux arrêtés ne fait partie de la Résistance.
Un tri est effectué après vérification de notre identité, nous sommes environ 50 hommes arrêtés puis embarqués dans des camions, qui nous amènent à l'hôpital-prison de Saint-Brieuc. Nous sommes gardés par des gendarmes Français aidés par des soldats allemands.
Les familles viennent nous rendre visite et nous font parvenir des vêtements et de la nourriture.
Nous restons environ huit jours dans ces lieux, puis un convoi est formé pour aller à pied à la gare de Saint-Brieuc encadré par des gendarmes Français.
Nous embarquons dans un train pour Paris, quelques uns réussissent à s'échapper, à la gare et lors du trajet quand le train ralentit. Au début, les gendarmes Français ferment les yeux, mais au delà de cinq ou six évasions ils interviennent pour les empêcher.
Arrivés à Paris nous sommes envoyés à la caserne de la Pépinière, où nous restons à nouveau environ huit jours.
Considérés comme STO, nous partons par la gare de l'Est pour l'Allemagne en train dans des wagons cadenassés. Au passage de la frontière les cadenas sont retirés.
La plupart d'entre nous allons travailler dans des usines de construction de matériel militaire
Pour ma part je suis affecté à la remise en état de vilebrequins pour moteurs d'avions.
A ma connaissance nous sommes tous rentrés à Plouaret à la libération. "
Jeudi 27 avril 1944, 7e arrestation
Pierre MENOU, travaille comme forgeron chez un artisan nommé LAVANANT qui est prisonnier en Allemagne, dont l'atelier se situe au bourg de Plouaret. C'est Pierre MENOU qui a confectionné la grande clef servant à culbuter les rails après déboulonnage de ceux-ci, (clef conservée soigneusement en mairie de Plouaret). Il est conscient du danger qu'il court, des gens lui conseillent d'aller se cacher, mais il n'ose pas quitter son emploi, personne ne peut assurer le travail à sa place, sa conscience professionnelle lui est fatale.
Pierre MENOU âgé de 24 ans, est arrêté à son tour et va rejoindre ses six camarades à la feldgendarmerie.
Pierre MENOU
Finalement les sept Martyrs se retrouvent à la maison de la Pépinière, dans le grenier servant de prison, où pendant près de deux semaines ils vont être soumis à tour de rôle aux tortures les plus atroces. Tortures que vont leur faire subir le capitaine feldgendarme MEITTEI aidé de son bourreau ALFRED.
Les jours qui suivent la rafle à Plouaret, Agnès, la sœur d'Auguste LE PAPE, raconte :
" Une voiture dans laquelle se trouve mon frère Auguste entouré de soldats allemands arrive à un endroit proche Kerdanet la ferme de mes parents, Auguste et ses camarades ont aménagé à cet endroit une cache d'armes dans un arbre creux. C'est sous la torture qu'il a certainement été amené à dévoiler cet endroit, c'est pour notre famille un moment très dur à supporter, de le voir ainsi sans pouvoir le soutenir ou lui parler. Ce sera la dernière fois qu'il verra Kerdanet.
Tous les jours, vers midi, je vais apporter, des repas confectionnés par nos soins, à mon frère à la Maison de la Pépinière. A chacune de mes visites le plateau lui est transmis sans que je puisse lui parler ou le voir. Mais une fois, aucune garde n'est assurée à l'entrée, je peux alors entrer, voir et embrasser son frère, qui m'a dit en Breton : " Il faut que tous les autres partent ", ce sera la dernière fois que je lui parlerai et le verrai en vie.
Lorsque j'ai eu l'occasion de voir les prisonniers à la maison de la Pépinière, ils étaient attachés deux à deux, et portaient des traces de coups sur le visage. "
Marie, la sœur d'Eugène DANIEL, raconte :
" Lorsque mon frère était à la maison de la Pépinière, je lui ai apporté des plateaux repas ainsi qu'à ses camarades, aidée en cela par la serveuse du restaurant voisin PIRIOU. J'ai ainsi eu l'occasion de voir mon frère peu de temps après son arrestation, je cru me trouver mal à la vue de celui-ci, il était assis sur une chaise, les mains attachées dans le dos, son visage était très marqué par les coups reçus par ces brutes. Ce fut une épreuve très éprouvante que je ne pourrai jamais oublier.
Une autre fois je suis venue près de la maison de la Pépinière accompagnée de ma mère dans l'espoir d'apercevoir mon frère, des tirs dirigés contre nous, par deux fois nous font nous arrêter et nous en aller. "
Samedi 6 mai 1944
Les 7 Martyrs quittent Plouaret

En début d'après midi, un grand camion bâché arrive à Plouaret s'arrête au bourg pour demander la route de la Pépinière, il vient chercher des détenus qui sont transportés à Belle-Isle-en-Terre pour y être " jugés ".
Les Allemands ont mis en place des cours martiales itinérantes, présidées par le lieutenant-colonel KOILHAVER qui appartient à l'état major du général STRAUBE, commandant le 74ème corps d'armée à Guingamp. Ces cours martiales sont chargées de donner un semblant de légalité aux exécutions.
Après signification de leur condamnation à mort, il est proposé aux Martyrs de se confesser auprès d'un prêtre allemand et d'écrire une lettre à leur famille, certains useront de ces possibilités d'autres trop marqués par les épreuves ne pourront ou ne voudront pas.
Dans la soirée du même jour, ils sont conduits à Ploufragan au lieu dit Les Croix sur un terrain de manœuvre, en cours de route ils chantent la Marseillaise. Des gens du voisinage sont présents sur les lieux, ils sont invités avec fermeté à s'éloigner. L'un d'eux réussit à monter dans un arbre et à assister à la fusillade.
Les nazis font creuser par les martyrs une fosse dans laquelle ils seront ensevelis.
Ils sont conduits trois par trois au peloton d'exécution, qui se trouve à l'emplacement de l'actuel monument.
Avant l'exécution les martyrs chantent une dernière fois la Marseillaise.
Un des fusillés retire tous ses vêtements face à ses bourreaux, il tient serré dans une main un mouchoir.
Un autre fusillé se relève après la fusillade puis retombe à terre.
Des suppliciés ne meurent pas sur le coup, on va retrouver sur certains d'entre eux, de la terre serrée dans leurs mains, lors de leur exhumation fin août 1944.
C'est par la Mairie de Saint-Brieuc que les familles apprennent par la suite ces détails.
Quelques jours après les exécutions du 6 mai, alors que les familles ne sont pas au courant de la fin tragique de leur proche, au cours de la messe du soir, le curé fait dire comme il est de coutume à l'époque une prière, mais cette prière est dédiée aux jeunes fusillés de Plouaret, sans qu'un nom fut cité. Tout le monde compris qu'il voulait parler des sept suppliciés.
Ce jour là, la sœur d'Auguste Le Pape voit passer devant son domicile, la mère d'Auguste PASTOL soutenue par deux personnes, la pauvre femme vient d'apprendre la triste nouvelle.
Les familles ne sont pas averties de la mort de leur proche, c'est par la rumeur publique qu'ils sont informés.
Le lendemain, le Maire de la commune, Antoine OLLIVIER vient avertir une à une les familles de la fin tragique de leurs fils.

Les sept Martyrs victimes d'une dénonciation ?
La rafle du 23 avril 1944 à Plouaret n'est pas le fruit du hasard, deux événements sont à mettre en évidence.

1er événement
Au début de 1944 arrive à Plouaret et venant de la région parisienne, un certain Pierre KERVOAZOU (1) qui se dit réfractaire au STO, il réussit à prendre contact avec la Résistance et à s'infiltrer dans le groupe.
Dans la soirée du 22 avril, Yves TREDAN qui est le responsable de " La Marseillaise " sur le secteur est accompagné de Pierre KERVOAZOU, quand, sur la route menant à la gare de Plouaret survient une patrouille de feldgendarmes, arrivés à leur hauteur, le revolver de Pierre KERVOAZOU tombe à terre, il est immédiatement arrêté, Yves TREDAN réagit tout de suite et réussit à s'enfuir dans la nuit sous les rafales de mitraillettes.
Habituellement durant l'occupation tout homme pris par les Allemands porteur d'une arme est condamné à mort et fusillé, Pierre KERVOAZOU ne subira pas ce sort, a-t'il bénéficié d'un traitement de faveur pour services rendus ? Cette question posée par les survivants de la rafle et ceux qui y échappèrent est restée sans réponse, mais pour beaucoup il n'y avait aucun doute.

2ème événement
A la suite d'une mission de sabotage de la voie ferrée Paris Brest entre Plouaret et Plounérin effectué le 7 avril 1944, cette nuit là, il neige, après avoir accompli leur mission chacun du groupe rejoint son domicile laissant des traces de pas dans la neige.
Le matin au réveil, Auguste LE PAPE qui met au courant sa sœur de toutes les actions qu'il mène avec ses camarades, lui pose la question : " Est-ce qu'il a neigé cette nuit ? ", malheureusement la réponse est négative. Les traces de pas n'ont donc pas été effacées durant la nuit, il craint la catastrophe. Dans la journée, une patrouille allemande vient roder aux alentours de Kerdanet sans qu'il y ait eu de suite. Mais certainement que les Allemands ont eu en cette occasion des doutes sur les activités d'Auguste LE PAPE.

(1) Pierre KERVOAZOU, né en 1924 à Guingamp, sera détenu à la feldgendarmerie de Plouaret, transféré au camp d'internement Marguerite à Rennes, puis à celui de Compiègne (Oise), déporté au camp de concentration de Flossenburg le 31 juillet 1944, puis au camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg en Allemagne d'où il reviendra en 1945 à la libération des camps, il est décédé en 1973 à La Tronche (Isère).


pour en savoir plus sur les exactions commises par les tortionnaires